Les contes
La Poule aux oeufs d'or de jean de la fontaine
L'avarice perd tout en voulant tout gagner.
Je ne veux, pour le témoigner,Que celui dont la Poule, à ce que dit la Fable,
Pondait tous les jours un oeuf d'or.
Il crut que dans son corps elle avait un trésor.
Il la tua, l'ouvrit, et la trouva semblable
A celles dont les oeufs ne lui rapportaient rien,
S'étant lui-même ôté le plus beau de son bien.
Belle leçon pour les gens chiches :
Pendant ces derniers temps, combien en a-t-on vus
Qui du soir au matin sont pauvres
Peau d’âne de charles Perrault
Il est des gens de qui l'esprit guindé,
Sous un front jamais déridé,
Ne souffre, n'approuve et n'estime
Que le pompeux et le sublime ;
Pour moi, j'ose poser en fait
Qu'en de certains moments l'esprit le plus parfait
Peut aimer sans rougir jusqu'aux Marionnettes ;
Et qu'il est des temps et des lieux
Où le grave et le sérieux
Ne valent pas d'agréables sornettes.
Pourquoi faut-il s'émerveiller
Que la Raison la mieux sensée,
Lasse souvent de trop veiller,
Par des contes d'Ogre et de Fée
Ingénieusement bercée,
Prenne plaisir à sommeiller ?
Sans craindre donc qu'on me condamne
De mal employer mon loisir,
Je vais, pour contenter votre juste désir,
Vous conter tout au long l'histoire de Peau-d'âne.
Il était une fois un Roi,
Le plus grand qui fût sur la Terre,
Aimable en Paix, terrible en Guerre,
Seul enfin comparable à soi :
Ses voisins le craignaient, ses États étaient calmes,
Et l'on voyait de toutes parts
Fleurir, à l'ombre de ses palmes,
Et les Vertus et les beaux Arts.
Son aimable Moitié, sa Compagne fidèle,
Était si charmante et si belle,
Avait l'esprit si commode et si doux
Qu'il était encor avec elle
Moins heureux Roi qu'heureux époux.
De leur tendre et chaste Hyménée
Pleine de douceur et d'agrément,
Avec tant de vertus une fille était née
Qu'ils se consolaient aisément
De n'avoir pas de plus ample lignée.
Dans son vaste et riche Palais
Ce n'était que magnificence ;
Partout y fourmillait une vive abondance
De Courtisans et de Valets ;
Il avait dans son Écurie Grands et petits chevaux de toutes les façons,
Couverts de beaux caparaçons Roides d'or et de broderie ;
Mais ce qui surprenait tout le monde en entrant,
C'est qu'au lieu le plus apparent,
Un maître âne étalait ses deux grandes oreilles.
Cette injustice vous surprend,
Mais lorsque vous saurez ses vertus non pareilles,
Vous ne trouverez pas que l'honneur fût trop grand.
Tel et si net le forma la Nature
Qu'il ne faisait jamais d'ordure,
Mais bien beaux Écus au soleil
Et Louis de toute manière,
Qu'on allait recueillir sur la blonde litière
Tous les matins à son réveil.
Or le Ciel qui parfois se lasse
De rendre les hommes contents,
Qui toujours à ses biens mêle quelque disgrâce,
Ainsi que la pluie au beau temps,
Permit qu'une âpre maladie
Tout à coup de la Reine attaquât les beaux jours.
Partout on cherche du secours ;
Mais ni la Faculté qui le Grec étudie,
Ni les Charlatans ayant cours,
Ne purent tous ensemble arrêter l'incendie
Que la fièvre allumait en s'augmentant toujours.
Arrivée à sa dernière heure
Elle dit au Roi son Époux :
Trouvez bon qu'avant que je meure
J'exige une chose de vous ;
C'est que s'il vous prenait envie
De vous remarier quand je n'y serai plus...
Ah ! dit le Roi, ces soins sont superflus,
Je n'y songerai de ma vie,
Soyez en repos là-dessus.
Je le crois bien, reprit la Reine,
Si j'en prends à témoin votre amour véhément ;
Mais pour m'en rendre plus certaine,
Je veux avoir votre serment,
Adouci toutefois par ce tempérament
Que si vous rencontrez une femme plus belle,
Mieux faite et plus sage que moi,
Vous pourrez franchement lui donner votre foi
Et vous marier avec elle.
Sa confiance en ses attraits
Lui faisait regarder une telle promesse
Comme un serment, surpris avec adresse,
De ne se marier jamais.
Le Prince jura donc, les yeux baignés de larmes,
Tout ce que la Reine voulut ;
La Reine entre ses bras mourut,
Et jamais un Mari ne fit tant de vacarmes.
À l'ouïr sangloter et les nuits et les jours,
On jugea que son deuil ne lui durerait guère,
Et qu'il pleurait ses défuntes Amours
Comme un homme pressé qui veut sortir d'affaire.
On ne se trompa point. Au bout de quelques mois
Il voulut procéder à faire un nouveau choix ;
Mais ce n'était pas chose aisée,
Il fallait garder son serment
Et que la nouvelle Épousée
Eût plus d'attraits et d'agrément
Que celle qu'on venait de mettre au monument.
Ni la Cour en beautés fertile,
Ni la Campagne, ni la Ville,
Ni les Royaumes d'alentour
Dont on alla faire le tour
N'en purent fournir une telle ;
L'Infante seule était plus belle
Et possédait certains tendres appas
Que la défunte n'avait pas.
Le Roi le remarqua lui-même
Et brûlant d'un amour extrême
Alla follement s'aviser
Que par cette raison il devait l'épouser.
Il trouva même un Casuiste
Qui jugea que le cas se pouvait proposer.
Mais la jeune Princesse triste
D'ouïr parler d'un tel amour,
Se lamentait et pleurait nuit et jour
De mille chagrins l'âme pleine,
Elle alla trouver sa Marraine,
Loin, dans une grotte à l'écart
De Nacre et de Corail richement étoffée.
C'était une admirable Fée
Qui n'eut jamais de pareille en son Art.
Il n'est pas besoin qu'on vous die
Ce qu'était une Fée en ces bienheureux temps ;
Car je suis sûr que votre Mie
Vous l'aura dit dès vos plus jeunes ans.
Je sais, dit-elle, en voyant la Princesse,
Ce qui vous fait venir ici,
Je sais de votre coeur la profonde tristesse ;
Mais avec moi n'ayez plus de souci.
Il n'est rien qui vous puisse nuire
Pourvu qu'à mes conseils vous vous laissiez conduire.
Votre Père, il est vrai, voudrait vous épouser ;
Ecouter sa folle demande
Serait une faute bien grande,
Mais sans le contredire on le peut refuser.
Dites-lui qu'il faut qu'il vous donne
Pour rendre vos désirs contents,
Avant qu'à son amour votre coeur s'abandonne,
Une Robe qui soit de la couleur du Temps ;
Malgré tout son pouvoir et toute sa richesse,
Quoique le Ciel en tout favorise ses voeux,
Il ne pourra jamais accomplir sa promesse.
Aussitôt la jeune Princesse
L'alla dire en tremblant à son Père amoureux
Qui dans le moment fit entendre
Aux Tailleurs les plus importants
Que s'ils ne lui faisaient, sans trop le faire attendre,
Une Robe qui fût de la couleur du Temps,
Ils pouvaient s'assurer qu'il les ferait tous pendre.
Le second jour ne luisait pas encor
Qu'on apporta la Robe désirée ;
Le plus beau bleu de l'Empyrée
N'est pas, lorsqu'il est ceint de gros nuage d'or
D'une couleur plus azurée.
De joie et de douleur l'Infante pénétrée
Ne sait que dire ni comment
Se dérober à son engagement.
Princesse, demandez-en une,
Lui dit sa Marraine tout bas,
Qui plus brillante et moins commune,
Soit de la couleur de la Lune.
Il ne vous la donnera pas.
À peine la Princesse en eut fait la demande
Que le Roi dit à son Brodeur :
Que l'astre de la Nuit n'ait pas plus de splendeur
Et que dans quatre jours sans faute on me la rende.
Le riche habillement fut fait au jour marqué,
Tel que le Roi s'en était expliqué.
Dans les Cieux où la Nuit a déployé ses voiles,
La Lune est moins pompeuse en sa robe d'argent
Lors même qu'au milieu de son cours diligent
Sa plus vive clarté fait pâlir les étoiles.
La Princesse admirant ce merveilleux habit,
Était à consentir presque délibérée ;
Mais par sa Marraine inspirée,
Au Prince amoureux elle dit :
Je ne saurais être contente
Que je n'aie une Robe encore plus brillante
Et de la couleur du Soleil.
Le Prince qui l'aimait d'un amour sans pareil,
Fit venir aussitôt un riche Lapidaire
Et lui commanda de la faire
D'un superbe tissu d'or et de diamants,
Disant que s'il manquait à le bien satisfaire,
Il le ferait mourir au milieu des tourments.
Le Prince fut exempt de s'en donner la peine,
Car l'ouvrier industrieux,
Avant la fin de la semaine,
Fit apporter l'ouvrage précieux,
Si beau, si vif, si radieux,
Que le blond Amant de Clymène
Lorsque sur la voûte des Cieux
Dans son char d'or il se promène,
D'un plus brillant éclat n'éblouit pas les yeux.
L'Infante que ces dons achèvent de confondre,
À son Père, à son Roi ne sait plus que répondre.
Sa Marraine aussitôt la prenant par la main :
Il ne faut pas, lui dit-elle à l'oreille,
Demeurer en si beau chemin ;
Est-ce une si grande merveille
Que tous ces dons que vous en recevez,
Tant qu'il aura l'âne que vous savez,
Qui d'écus d'or sans cesse emplit sa bourse ?
Demandez-lui la peau de ce rare Animal.
Comme il est toute sa ressource,
Vous ne l'obtiendrez pas, ou je raisonne mal.
Cette Fée était bien savante,
Et cependant elle ignorait encor
Que l'amour violent pourvu qu'on le contente,
Compte pour rien l'argent et l'or ;
La peau fut galamment aussitôt accordée
Que l'Infante l'eut demandée.
Cette Peau quand on l'apporta
Terriblement l'épouvanta
Et la fit de son sort amèrement se plaindre.
Sa Marraine survint et lui représenta
Que quand on fait le bien on ne doit jamais craindre :
Qu'il faut laisser penser au Roi
Qu'elle est tout à fait disposée
À subir avec lui la conjugale Loi,
Mais qu'au même moment, seule et bien déguisée,
Il faut qu'elle s'en aille en quelque État lointain
Pour éviter un mal si proche et si certain.
Voici, poursuivit-elle, une grande cassette
Où nous mettrons tous vos habits,
Votre miroir votre toilette,
Vos diamants et vos rubis.
Je vous donne encor ma Baguette ;
En la tenant en votre main,
La cassette suivra votre même chemin
Toujours sous la Terre cachée ;
Et lorsque vous voudrez l'ouvrir,
À peine mon bâton la Terre aura touchée
Qu'aussitôt à vos yeux elle viendra s'offrir.
Pour vous rendre méconnaissable,
La dépouille de l'âne est un masque admirable.
Cachez-vous bien dans cette peau,
On ne croira jamais, tant elle est effroyable,
Qu'elle renferme rien de beau.
La Princesse ainsi travestie
De chez la sage Fée à peine fut sortie,
Pendant la fraîcheur du matin,
Que le Prince qui pour la Fête
De son heureux Hymen s'apprête,
Apprend tout effrayé son funeste destin.
Il n'est point de maison, de chemin, d'avenue,
Qu'on ne parcoure promptement ;
Mais on s'agite vainement,
On ne peut deviner ce qu'elle est devenue.
Partout se répandit un triste et noir chagrin ;
Plus de Noces, plus de Festin,
Plus de Tarte, plus de Dragées ;
Les Dames de la Cour toutes découragées,
N'en dînèrent point la plupart ;
Mais du Curé surtout la tristesse fut grande,
Car il en déjeuna fort tard,
Et qui pis est n'eut point d'offrande.
L'Infante cependant poursuivait son chemin,
Le visage couvert d'une vilaine crasse ;
À tous Passants elle tendait la main,
Et tâchait pour servir de trouver une place.
Mais les moins délicats et les plus malheureux
La voyant si maussade et si pleine d'ordure,
Ne voulaient écouter ni retirer chez eux
Une si sale créature.
Elle alla donc bien loin, bien loin, encor plus loin ;
Enfin elle arriva dans une Métairie
Où la Fermière avait besoin
D'une souillon, dont l'industrie
Allât jusqu'à savoir bien laver des torchons
Et nettoyer l'auge aux Cochons.
On la mit dans un coin au fond de la cuisine
Où les Valets, insolente vermine,
Ne faisaient que la tirailler
La contredire et la railler ;
Ils ne savaient quelle pièce lui faire,
La harcelant à tout propos ;
Elle était la butte ordinaire
De tous leurs quolibets et de tous leurs bons mots.
Elle avait le Dimanche un peu plus de repos ;
Car ayant du matin fait sa petite affaire,
Elle entrait dans sa chambre en tenant son huis clos,
Elle se décrassait, puis ouvrait sa cassette,
Mettait proprement sa toilette,
Rangeait dessus ses petits pots
Devant son grand miroir, contente et satisfaite,
De la Lune tantôt la robe elle mettait,
Tantôt celle où le feu du Soleil éclatait,
Tantôt la belle robe bleue
Que tout l'azur des Cieux ne saurait égaler,
Avec ce chagrin seul que leur traînante queue
Sur le plancher trop court ne pouvait s'étaler
Elle aimait à se voir jeune, vermeille et blanche
Et plus brave cent fois que nulle autre n'était ;
Ce doux plaisir la sustentait
Et la menait jusqu'à l'autre Dimanche.
J'oubliais à dire en passant
Qu'en cette grande Métairie
D'un Roi magnifique et puissant
Se faisait la Ménagerie,
Que là, Poules de Barbarie,
Râles, Pintades, Cormorans,
Oisons musqués, Canes Petières,
Et mille autres oiseaux de bizarres manières,
Entre eux presque tous différents,
Remplissaient à l'envi dix cours toutes entières.
Le Fils du Roi dans ce charmant séjour
Venait souvent au retour de la Chasse
Se reposer boire à la glace
Avec les Seigneurs de sa Cour.
Tel ne fut point le beau Céphale :
Son air était Royal, sa mine martiale,
Propre à faire trembler les plus fiers bataillons.
Peau-d'âne de fort loin le vit avec tendresse,
Et reconnut par cette hardiesse
Que sous sa crasse et ses haillons
Elle gardait encor le coeur d'une Princesse.
Qu'il a l'air grand, quoiqu'il l'ait négligé,
Qu'il est aimable, disait-elle,
Et que bien heureuse est la belle
À qui son coeur est engagé !
D'une robe de rien s'il m'avait honorée,
Je m'en trouverais plus parée
Que de toutes celles que j'ai.
Un jour le jeune Prince errant à l'aventure
De basse-cour en basse-cour,
Passa dans une allée obscure
Où de Peau-d'âne était l'humble séjour.
Par hasard il mit l'oeil au trou de la serrure.
Comme il était fête ce jour
Elle avait pris une riche parure
Et ses superbes vêtements
Qui, tissus de fin or et de gros diamants,
Égalaient du Soleil la clarté la plus pure.
Le Prince au gré de son désir
La contemple et ne peut qu'à peine,
En la voyant, reprendre haleine,
Tant il est comblé de plaisir.
Quels que soient les habits, la beauté du visage,
Son beau tour sa vive blancheur,
Ses traits fins, sa jeune fraîcheur
Le touchent cent fois davantage ;
Mais un certain air de grandeur,
Plus encore une sage et modeste pudeur,
Des beautés de son âme assuré témoignage,
S'emparèrent de tout son coeur